Personne n’oserait dire que le roman posthume de Jacques Roumain, Gouverneurs de la rosée, n’est pas un chef-d’œuvre. C’est une œuvre incontournable dans l’histoire de la littérature haïtienne voire mondiale. Jamais œuvre n’a fait couler autant d’encre. À lire ce roman, il y a des pages, des chapitres, des paragraphes et des citations qui ne peuvent nous laisser insensibles. Face aux choix des mots, des phrases bien ciselées et des idées de progrès, de lumières qui traversent l’œuvre, avec un discours fort ou d’une parole prophétique.
En effet, l’incipit a une valeur déterminante dans la réussite d’un texte. Il peut porter le lecteur à s’arracher sur le livre tout comme il peut le porter à le déposer. Il faut toujours une phrase accrocheuse. Aussi le Nous mourrons tous… émis par la vieille Délira dans Gouverneurs de la rosée a-t-il une portée prophétique. C’est un cri de détresse devant le malheur qui plane sur le village. La mort, selon ses dires, n’est pas trop loin. Et c’est toutes les espèces (humaine, animale, végétale) qui tomberont sous le poids de la malédiction due à la haine, la discorde qui sévit à Fonds-Rouge.
Aussi le roman s’ouvre-t-il sous le signe de la désolation, l’abandon plutôt la démission de tous les habitants. Une note triste et fatale, pourtant qui attise la curiosité. Le constat de Délira est plus que juste, la terre ne pouvant plus nourrir les espèces puisqu’il manque l’eau. La situation du village parait dégradante et les habitants sont tous des résignés. Ils s’abandonnent à la Providence avec l’espoir que quelque chose pourra bien changer. C’est un nous inclusif, collectif… il engage la disparition de toute la communauté.
Tous les personnages de Gouverneurs de la rosée, à l’exception de Manuel, le porteur du message de salut, sont terrassés par la malédiction. Ce dernier incarne la figure du messie, celui par qui le cours des événements a changé. Vous pouvez dire aussi que c’est un roman de réconciliation, du vivre-ensemble et de l’amour. Une belle leçon d’altruisme.
Mirline Pierre