Littérature et Politique
L’Association Legs et Littérature (ALEL) lance un appel à contributions pour le 14e numéro de la revue Legs et Littérature, consacré à la thématique Littérature et Politique qui paraîtra en novembre 2019 chez LEGS ÉDITION sous la direction de Claudy Delné et Jean Florentin Agbona. Date limite : 15 septembre 2019.
L’écrivaine jamaïcaine Olive M. Senior établit en grande pompe la relation entre la littérature et la politique par une sorte d’euphémisme lorsqu’elle déclare que « la littérature est politique étant donné que nous sommes des animaux politiques »[1]. Senior s’est débattue avec une certaine anxiété pour savoir si la littérature devrait être politique. Dans son discours inaugural à la conférence mondiale des écrivains à Edinburgh, Trinidad, il y a quelques années, elle souligne d’abord sous forme de boutade « l’idée que la production littéraire est une chose précieuse et doit être protégée des hordes non lavées qui sont des animaux politiques, car elles fomentent des révolutions et renversent des trônes »[2]. Mais ces mêmes hordes, poursuit-elle, ont aussi créé de la littérature, bien que cela s’appelle folklore et chansons folkloriques.
Ayant sommairement établi la correspondance entre littérature et politique, Senior n’utilise une définition de la littérature qu’en référence aux travaux d’imagination créatrice (fiction, poésie, théâtre ou autres) tandis qu’elle fait un usage de la politique dans son sens le plus exhaustif dans la mesure où « la politique la plus large de la nation nous façonne inévitablement en un effet d’entraînement du berceau à la tombe »[3]. Même le cri d’un bébé peut avoir des ramifications politiques. La politique façonne tous les aspects de notre vie. Ce qui contraint Senior à reformuler son questionnement original, à savoir, la littérature devrait-elle être politique ? En cette phrase plus assertive : « la littérature est politique parce que nous, les créateurs de littérature, sommes des animaux politiques ; cela fait partie de l’acceptation de notre responsabilité d’être humain, de citoyen du monde »[4].
Senior ne soutient nullement que la littérature devrait être au service de la politique. Elle déclare, et c’est là, à juste titre, que les écrivains créatifs doivent se séparer de ceux qui ont un mandat ouvert et normatif. Les consommateurs de chaque genre, atteste-t-elle, savent généralement à quoi s’attendre. Et de continuer, elle souligne que la littérature créative fonctionne mieux si nous ne savons pas à quoi nous attendre. La littérature, dans ce sens étroit, est avant tout un produit de l’imagination. Le cadeau des industries créatives est de présenter l’inattendu, de montrer le monde sous un jour différent.
Mais l’engagement en littérature dans sa genèse remonte au moins au dix-neuvième siècle avec cette oscillation entre une vision de la littérature comme une fin en soi et celle qui trouve son point d’ancrage dans l’action. Dans le deuxième cas, la création littéraire se veut donc un puissant générateur de changement centré sur tous les domaines d’activités humaines. L’écrivain, dans la première conception littéraire, fait peu de cas du réel, il se met en porte-à-faux avec le temps de l’histoire. On parle plutôt de la gratuité de l’œuvre. L’écrivain ne fait que de l’art pour l’art, qui est son seul salut. C’est, semble-t-il, le propre de toutes les générations d’avant la Première Guerre mondiale. Flaubert illustre bien cette vision de l’art. Et, Milan Kundera arrive à dire que ce dernier a découvert la bêtise, qui est la plus grande découverte d’un siècle si fier de sa raison scientifique, une dimension inséparable de l’existence humaine. Par contre, la littérature, dans le deuxième courant, devient davantage un moyen qu’une fin. À partir de l’entre-deux-guerres, les écrivains, en général, rompent avec la pratique de l’art pour l’art et embrassent le culte de l’action en s’inspirant directement de la réalité et en intervenant par leurs écrits et leurs actes. C’est ce qui fait dire à Italo Calvino, dans The Uses of Literature : « la littérature est nécessaire à la politique surtout quand elle donne la parole à celui qui n’a pas de voix, quand elle donne un nom à celle qui n’a pas de nom et surtout à tout ce que le langage politique exclut ou tend à exclure… La littérature est comme une oreille qui écoute plus que la politique ; la littérature est comme un œil qui peut percevoir au-delà de la gamme chromatique à laquelle la politique est sensible »[5].
S’adonner à l’action, prendre position de citoyen dans la cité, se faire le porte-parole des damnés, des exclus n’équivalent pas à une surenchère de la politique. Au contraire, l’engagement a une forme littéraire et avec Sartre on peut dire que la revendication d’engagement ne doit en aucun cas faire obstacle à la qualité littéraire, empêcher l’exigence de forme. Dans le premier numéro de Les Temps modernes, l’engagement au sens sartrien est coexistant à la condition humaine et on y lit : « L’écrivain est en situation dans son époque : chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi. Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu’ils n’ont pas écrit une ligne pour l’empêcher. Ce n’était pas leur affaire, dira-t-on. Mais le procès de Calas, était-ce l’affaire de Voltaire ? La condamnation de Dreyfus, était-ce l’affaire de Zola ? L’administration du Congo, était-ce l’affaire de Gide ? Chacun de ces auteurs, en une circonstance particulière de sa vie, a mesuré sa responsabilité d’écrivain. »[6]
Tout acte se trouve en situation, clame Sartre, et en appelle à la responsabilité de l’écrivain. Les deux cents ans d’histoire littéraire des écrivains latino-américains n’attestent-ils pas cet appel collectif à la contestation d’une certaine conception bourgeoise de la littérature qui cautionne l’irresponsabilité de l’écrivain. Ne s’agit-il pas d’une forme d’engagement littéraire que Patrick Chamoiseau condense dans son essai Écrire en pays dominé ? Son militantisme pour « la cause créole » n’abonde-t-il pas dans le sens de la contestation et l’autocritique pour semer le trouble dans les discours dominants ? L’écrivain ici en situation de domination écrit pour s’émanciper des tentacules mortifères de l’histoire des Antilles et de tous ses avatars. Bien avant ces remous des périphéries, n’était-il pas le cas dans les métropoles, particulièrement française, de l’éclatement des métarécits, donc des discours dominants avec la génération d’écrivains structuralistes et poststructuralistes ?
En France, on pourrait parler d’une singularité française dans ce rapport d’interdépendance entre la littérature et la politique. Des historiens comme Alain-Gérard Slama parlent de sources littéraires de la République française. Dans ses trois tomes de Les écrivains qui ont fait la République. Tome 1, Le trésor caché, des origines au début du 19e siècle, (2012), France Culture retranscrit l’essentiel d’un échange qu’il a livré à propos du livre :
L’identité politique de la France réside dans sa littérature. La littérature est « l’âme » de la nation, son principe spirituel. La culture de notre pays est littéraire, son histoire est littéraire, sa politique est littéraire, ses paysages sont littéraires. Son passé, ses valeurs, ses idées, ses peurs et ses mœurs se déchiffrent d’abord à travers leur expression littéraire. Depuis le Moyen Âge, elle s’est regardé dans ce miroir, elle s’est identifiée à cette image, elle a évolué avec elle chaque génération s’est appuyée sur elle pour éduquer la suivante, en sorte que tout le pays lui doit ce qu’il est[7].
Cet investissement des écrivains dans la politique peut se repérer comme un mouvement d’ensemble sur presque tous les continents, en passant par la Chine de Confucius, la France des Carolingiens, de Tocqueville et son influence déterminante sur la formation des États-Unis d’Amérique, les mémorialistes haïtiens comme Boisrond Tonnerre, le secrétaire de l’empereur Jean-Jacques Dessalines, ou l’ancien esclave Henri Christophe, devenu roi dans le Nord qui investissait dans les lettres haïtiennes à travers son historien et secrétaire Baron Pompée Valentin de Vastey pour répondre directement aux discours coloniaux des détracteurs et historiens français, ou encore de Charles de Gaule, François Mitterrand, Senghor, Césaire, Kadhafi à Obama, etc.
Comment retracer l’histoire du tandem littérature et politique ? La création littéraire est-elle objectivement possible en dehors du champ politique, de l’univers ou de la situation sociohistorique de son auteur ? Y a-t-il un imaginaire littéraire et un imaginaire politique, si oui, comment les distingue-t-on ? Les écrivains sont-ils contraints de prendre acte de leur temps ? Prendre acte de la société de son temps équivaut-il à une littérature engagée ou militante ? Le contenu de la littérature engagée est-il toujours politique ? La littérature et la politique font-elles bon ménage ou sont-elles antinomiques ? La littérature et la politique se dirigent-elles de plus en plus vers une certaine autonomisation de leur champ respectif ?
Ce numéro de Legs et littérature s’intéresse à la littérature et la politique sous plusieurs angles, dans différents aspects et différentes sphères géographiques. Comment saisir les rapports –qu’ils soient discordants ou concordants– dans les représentations ou les visions que l’une propose de l’autre dans leur manifestation respective ? Comment la littérature interroge-t-elle la politique à travers les siècles et vice-versa ? Il s’agit donc de traiter les enjeux et les contradictions qui peuvent découler des perceptions du littéraire et du politique dans le champ social et la réception de leur discours respectif.
Ces pistes n’ont pas la prétention d’être exhaustives. Ainsi, la Revue Legs et Littérature encourage les contributeurs/rices à explorer d’autres aspects de la question sur le plan diachronique et synchronique et espère, par les différentes propositions, dégager une vue d’ensemble de la question touchant même à des domaines insolites qui sont peu ou pas abordés par la critique. Alors que toute étude comparative et interdisciplinaire de cette thématique est souhaitée, les postulants peuvent résolument s’inspirer des axes suivants dans leurs propositions, la liste n’étant pas exhaustive.
Axes thématiques :
Axe 1 : Roman et/ou littérature politique : quels sont les champs du roman et/ou de la littérature politique ? Jeux, enjeux et contradictions entre littérature, roman et politique.
Axe 2 : Figures de l’écrivain ou l’intellectuel engagé : manifestation de l’écrivain/l’intellectuel engagé. Comment le définit-on et à quoi le reconnaît-on ?
Axe 3 : Généalogie de cette complicité entre littérature et politique : qu’y a-t-il de commun entre littérature et politique ? Comment se manifestent les rapports d’influences ?
Axe 4 : Création littéraire sous les dictatures : comment écrit-on en territoire ou pays assiégé par la dictature ? La question de la censure, de la violence, la révolte…
Axe 5 : Littérature et idéologie : la fonction de la littérature, de l’écrivain. À quoi sert-elle ? Le caractère des idées véhiculées par la littérature selon les époques et leurs incidences sur la pensée.
Axe 6 : Littérature et révolution : la littérature peut-elle révolutionner la société, provoquer le bouleversement de l’ordre établi. Littérature et statu quo, les écrivains et l’ordre social et politique.
Axe 7 : Littérature et changements sociaux : le rapport de la littérature avec le social, les mœurs, les traditions et les comportements. Ce qu’elle apporte comme actif dans le processus de changement et/ou d’évolution de la société.
Axe 8 : Politique et réception littéraire : les usages du politique dans la littérature.
Protocole de présentation et de soumissions des textes :
L’auteur devra envoyer sa proposition de contributions par courrier électronique en format Word tout en indiquant (1) son nom ou pseudonyme, le cas échéant, (2) son titre universitaire, (3) le titre du texte ou les premiers mots de chaque texte (4) sa notice biobibliographique ne dépassant pas 100 mots, (5) un résumé (Abstract) du texte ne dépassant pas 250 mots.
Longueur des textes
– 4 000 à 6 000 mots pour les réflexions, les textes critiques portant sur une œuvre littéraire.
– 1 000 à 1 200 mots pour les notes ou comptes rendus de lecture.
– 1 000 à 1 500 mots pour les portraits d’écrivains.
– 1 500 à 2 000 mots pour les entretiens avec des écrivains, critiques littéraires et chercheurs.
– Poèmes ou nouvelles en français : maximum 5 pages ou 5 poèmes.
La police de caractères exigée est le Times New Roman, taille 12 points, à un interligne et demi, et une taille de 10 points pour les notes de bas de page, police de caractère, Calibri.
- Titre du texte : le titre doit être en gras avec les titres des œuvres en italique. S’il comporte deux parties, utilisez deux points au lieu du soulignement. Exemple : Chauvet et Faulkner : cas d’intertextualité.
- Les références : toute citation doit être associée à une note de bas de page. Les citations de moins de 5 lignes sont intégrées au texte et indiquées par des guillemets –sans italique. Allez à la ligne et utilisez l’alinéa pour les citations de plus de 5 lignes. Dans ce cas, il n’y a ni guillemets ni italique. Veuillez indiquer les références en bas de pages (Prénom, nom de l’auteur, titre du livre, lieu de l’édition, maison d’édition, année de publication. Ex : Marie Vieux-Chauvet, Fille d’Haïti [1954], Paris, Zellige, 2014.)
- Bibliographie, Livres : Indiquer le nom de l’auteur (maj.), prénom (min.) suivi du titre de l’ouvrage (italique), lieu de l’édition, maison d’édition, année de publication. Ex : VIEUX-CHAUVET, Marie, Fille d’Haïti, Paris, Zellige, 2014.
S’il s’agit d’un livre publié plus d’une fois, il faut préciser l’édition consultée et l’année de la première publication mise entre crochets précédée du titre. Ex : VIEUX-CHAUVET, Marie, Fille d’Haïti [1954], Paris, Zellige, 2014.
Chapitre d’un livre : Nom de l’auteur (maj.), Prénom (min.), titre du chapitre (entre guillemet), titre de l’œuvre (italique), ville, édition, année de publication.
Article de revue : Nom de l’auteur (maj.), Prénom (min.), titre de l’article (entre guillemet), nom des directeurs du numéro, nom du magazine, journal ou revue (en italique), volume, numéro, année de publication, pages consultées. Ex : LAHENS, Yanick, « Chauvet, Faulkner : cas d’intertextualité », Carolyn Shread, Wébert Charles (dir.), Revue Legs et Littérature, No 4, janvier 2015, pp. 65-82.
Date limite : Envoyez vos propositions avant le 15 septembre 2019 à legsedition@outlook.com ou c_saintgermain@yahoo.fr
[1] La citation est tirée d’une version éditée de son discours publié dans The Guardian. Voir Olive Senior : Literature is political because we are political animals, 2013, Web. 10 juin 2019.
https://www.theguardian.com/books/2013/apr/29/olive-senior-literature-political.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Voir Yong Jie dans Lietrature and Politics, 3 :AM Magazine. Web. 10 juin 2019.
https://www.3ammagazine.com/3am/literature-and-politics/
[6] Patrick Wagner, « La notion d’intellectuel engagé chez Sartre », Le Portique, Cahier 1, 2003, p. 2.
[7] France Culture, Les lundis de l’histoire, Littérature et politique par Philippe Levillain, 14 juin 2013, Web. 10 juin 2019. https://www.franceculture.fr