« Sexualité ». Voilà bien un vocable qui a hanté et continue de hanter toujours fortement l’imaginaire collectif. Cela revient à ce que cette notion soit liée à l’origine de l’homme et à sa pérennité. Or, quelles acceptions incluent au mieux ce terme aujourd’hui largement déprécié ou apprécié, souvent réduit aux penchants ignominieux du corps et à ses impulsions instinctives ?
Le mot latin sexus désigne le sexe en parlant de plantes et des animaux. Et, pour Cicéron : Sexum egressa mulier[1] (femme qui s’élève au-dessus de son sexe). Étymologiquement, sexe nous vient du latin sexus, qui désigne le « sexe » provenant de secus, au sens de « ce qui suit » et du verbe latin sequor, signifiant « ce qui vient après », « la progéniture », issu de la racine du Sanskrit sacate dans le sens de « être uni », « accompagner ». Comment les civilisations et les religions, à travers les époques, ont-elles cherché d’autoriser ou de proscrire la conduite sexuelle humaine et de quelle manière ont-elles régularisé dans l’imaginaire littéraire et artistique la représentation de la sexualité ?
Dans ses maximes, Épicure, philosophe grec qui vécut à Athènes et fonda une école de pensée, le Jardin, épargnait la volupté de toute condamnation morale : « Si les voluptueux trouvaient dans les objets qui leur procurent la volupté le remède à la crainte des phénomènes, de la mort et de la douleur […], je ne trouverais rien à reprendre dans leur état »[2]. Il estimait que le sexe, loin d’être un mal, étant un besoin naturel, à l’instar de la faim, de la soif et du sommeil, est prémuni de toute critique. Chez les penseurs hédonistes, la vie est orientée selon leurs dispositions propres, mais on retrouve des thèmes communs : l’amitié, la tendresse, la sexualité libre, une vie administrée par la quête indubitable des plaisirs. Le libertinage, courant de pensée, né en France au XVIIe siècle, qui s’épanouit durant tout le XVIIIe siècle, en se manifestant dans les mœurs comme dans la pensée et la littérature, est caractérisé par la revendication d’une liberté accrue. La pièce Don Juan de Molière est l’illustration allégorique de cette disposition. Par extension, il caractérise au XVIIIe siècle des auteurs romanesques français contemporains et leurs textes licencieux ou érotiques, voire pornographiques. Que reste-t-il, aujourd’hui, de cet héritage ? La sexualité, tout comme l’érotisme, chez les auteurs contemporains, est-elle toujours considérée comme une valeur à même de transfigurer l’être, son entité et son existence ?
Dans la représentation de la sexualité, la littérature, à travers les siècles et les cultures, pense le sexe non pas comme une pléthore d’actes qui satisfont un besoin instinctif, pour ne pas dire animal, justifié par la nature des corps, mais un phénomène et un processus scripturaire, avec une profonde charge signifiante, comme le creuset où s’expriment des relations sociales et de possibilités physiques auxquelles sont allouées des notifications socialement arrangées. Il serait alors révélateur de significations culturelle, sociale, religieuse, éthique … qui, en se définissant comme naturelles, comme expression de l’instinct, ont fonctionné en tant que lieux de définition normative du genre. L’enjeu de toute recherche est échafaudé là : entrevoir la nature de la connexité au corps scellée par l’écriture et sonder la concupiscence de la chair dans et par le texte. La représentation de la sexualité, qui pourrait être brièvement décrite comme une structuration des comportements sexuels chargée d’épouser les contours définis par la loi, la religion, la morale… vise à discerner l’aire du dérèglement des tentations charnelles et celle de la réglementation et de la condamnation de toute tentative d’acte sexuel. Toute l’ingéniosité créative (qu’elle soit romanesque, poétique, artistique, cinématographique ou autre) qui met en texte, de manière explicite sous l’effet d’une autocensure ou de manière brute et brutale tirant partie d’un libertinage, nomme, étudie, indexe et représente chaque comportement sexuel loin de toute censure juridique, religieuse ou éthique. Les écrivains représentent des scènes sexuelles, matériau précieux qui, sous l’effet de mécanismes discursifs, illustrent diverses thèses qui se rejoignent sur la définition de critères de normalité (hétérosexualité) ou d’anormalité sexuelle (homosexualité, viol, sodomie…). L’écriture du sexe est bien plus qu’une représentation des corps en fête et en défaite des syncopes du plaisir et des ravissements de l’amour. Si actuellement certains auteurs continuent à écrire sur et par le sexe, comme des rescapés de l’apologie de la sexualité et de ses festivités, ce n’est plus pour faire tanguer le lecteur par des scènes d’obscénité sensuelle. Entre le sexe et le texte, voilà bien une relation fédérée par un « mariage d’intérêt » et scellée par la fidélité et la trahison. Du corps consumé par la flamme de l’amour charnel, émane des salacités inapaisées dont l’accomplissement ne se fait que par et dans les tréfonds de l’écriture. Deux concepts : écriture et sexe, l’un féconde l’autre, et celui-ci donne naissance à celui-là. Il s’ensuit une transmutation du corps qui devient un orbe sexuel et textuel. Qu’ils soient motifs ou thèmes, le sexe et la sexualité s’énoncent pour entrer en matière au corps textuel et circonstancier sa genèse et son identité.
Aujourd’hui plus que jamais, liberté, libération et libéralisation du sexe nous amènent à interroger, avec acuité, – mais aussi à douter avec crudité – la visée émancipatoire de ces écrits. De part la question du sexe et de ses déviances, toujours trop cloisonnées, qui peuvent caractériser l’écriture du sexe, se manifeste hic et nunc une interrogation sur le champ d’expression de ce genre d’élucubration : de quelle sexualité fait-on la représentation ? Comme il est de coutume, toute analyse s’applique à appréhender l’image de la sexualité normative forgée selon le paradigme instauré par l’hétérosexualité. Or, il conviendrait d’aller au-delà d’une telle approche trop triviale pour voir ce qui pourrait sublimer les dispositifs machinaux du désir et de comprendre les impulsions de l’être et ses inclinaisons. Écrire sur la sexualité, c’est bien plus qu’un écho au libertinage et au marivaudage du XVIIIe siècle, c’est un acte qui définit l’être écrivant, l’affirme et fait clamer sa parole de dissidence au sein d’un cadre social, religieux, politique et économique conservateur.
S’il est vrai qu’aujourd’hui, la pudeur et la retenue de l’expression ne sont plus l’apanage du discours littéraire, qui s’empare de toute cette part de l’intimité, jadis tue, aujourd’hui évoquée comme n’importe quelle autre question dans la sphère publique ; or, avec ce numéro de Legs et Littérature, ayant pour thématique la poétique de la sexualité, nous ne sommes pas dans la littérature érotique, blanche ou rose, entendue comme une littérature qui aspire à occasionner le désir ou à exalter l’appétence sexuelle. Nous ne sommes pas non plus à la devanture de la littérature pornographique, quoique nous soyons parfois dans la pure déclinaison commerciale de la sexualité. Avec des écrivains contemporains comme Catherine Cusset, Virginie Despentes, Christine Angot, Catherine Breillat, Nelly Arcan, Catherine Millet, Claire Legendre, la littérature actuelle constitue un forum pour la sexualité et, plus largement, pour le corps. Comment se construit le rapport entre représentation sexuelle et technique romanesque? L’écriture du sexe et de l’érotisme est-elle encadrée par des codes formels précis? Quels procédés littéraires sont-ils mis en place pour présenter au lecteur des scènes érotiques et sensuelles inédites ? Quelles caractéristiques définissent l’imaginaire contemporain de la sexualité ? Les personnages y sont-ils hétéro ou homo-sexuels? Quel rôle accorde-t-on à la jouissance de la chair? Celle-ci est-elle honteuse, banalisée ou valorisée? Y a-t-il une différence entre l’écriture de la sexualité au féminin et au masculin?
Ce numéro de Legs et Littérature tente d’analyser comment des œuvres romanesques ont remis en cause, de façon avant-gardiste, les normes de sexe, de genre et de sexualité dans l’écriture de fiction. Ces approches permettent également d’entrevoir une poétique décalée, décentrée, qui déconstruit les genres littéraires et offre de nouveaux points de vue sur le monde. Il s’agit par conséquent de montrer dans ce numéro que c’est à travers la poétique que des auteurs façonnent une résistance à la norme. Des concepts majeurs servent d’outils critiques à l’étude des textes, étant donné qu’ils sont confrontés aux thèmes de la corporéité et de la sexualité. Ils sont analysés de près dans des articles qui remettent en question les désignations de « sexe », de « genre » et de « sexualité ». Le caractère hétérogène des écrivains – les nationalités et les assises littéraires et culturelles étant fort disparates – présente justement pour le lecteur une panoplie de visions sur ce sujet : la représentation de la sexualité dans la littérature et l’art contemporains à travers la diversité des auteurs retenus.
Dans son article intitulé : « Représentation inter-dite de l’homosexualité dans les romans d’Abdellah Taïa. Poétique d’un topoi (dés-) enchanté. », Mourad Loudiyi propose une lecture de la fiction romanesque de Taïa sur l’homosexualité qui est le foyer de nombreux discours sociaux, religieux ethnologiques… La construction et la représentation littéraire de la sexualité « marginale » joue certes un rôle central dans la déstabilisation des conceptions simplistes de la politique identitaire tout en mettant en cause les systèmes de valeurs qui sont à la base des désignations des identités et des orientations sexuelles. Il estime que cette étude s’efforcera de combler la lacune qui existe par rapport à l’analyse de l’intersection entre la production littéraire au Maghreb francophone et la sexualité « marginale ». Il en résulte, conséquemment, la nécessité de reconsidérer la poétique de la sexualité et les impacts philosophiques, sociologiques, religieuses de ses représentations. Dans le même contexte arabo-musulman marocain, Salma Fellahi cherche à analyser la représentation de figures masculines et féminines, dans un corpus oral constitué de poèmes chantés, notamment dans la quasida du malhoun, sorte de romances ou « El-ochaq » (poèmes traitant l’amour). Son article : « Les deux sexes dans l’imaginaire poétique masculin marocain : Le cas du Malhoun » fait écho à son essai : La Poétique du malhoun marocain, sur ce mode d’expression qu’est le malhoun dont les sujets exaltés sont, entre autres, la femme, l’amour, la passion divine, les Lieux saints…
À l’instar du Maroc, dans certains pays africains, la sexualité demeure un sujet tabou. Daouda Coulibaly et Gomongo Nargawélé Silué, dans leur article : « De la profanation du corps féminin à l’émancipation par l’apologie sexuelle : lecture stylistique de l’hypotypose dans Femme nue femme noire de Calixthe Beyala », se sont consacrés aux problèmes de l’impact affectif de la sexualité sur la femme africaine, dans Femme nue, femme noire de Calixthe Beyala, qualifié par Albin Michel de « premier roman érotique africain ». Les deux auteurs optent pour une approche stylistique, à travers le discours suggestif et puissamment visuel qu’est l’hypotypose, étant l’un des atouts les plus importants de l’arsenal de Beyala. En s’éloignant des modèles proposés par les rhéteurs et en se penchant sur le corpus fictionnel au cœur de leur étude, ils s’interrogent sur la manière dont l’hypotypose se manifeste dans le récit beyalien. Le choix d’une telle figure de style témoigne de la capacité du langage à charmer et ravir le lecteur, par une sorte d’immersion émotionnelle dans la scène sexuelle représentée.
Choisissant de travailler sur la même auteure franco-camerounaise, Guilioh Merlain Vokeng Ngnintedem pense que, chez Beyala, l’écriture du sexe n’est plus condamnée, mais banalisée. L’auteur de l’étude sur : « L’esthétique de la transgression chez Calixthe Beyala : entre écriture-sexe et écriture du corps » fait valoir l’esthétisme romanesque chez Calixthe Beyala, qui grâce à ses récits poivrés, bat en brèche les systèmes de la censure de la société africaine et l’ordre moral ancestral par la célébration des corps épris de penchants charnels. N’ DA Pierre souligne à ce propos : « Une volonté manifeste de choquer, [mais surtout] de restituer le vécu quotidien, les laideurs de la société dans toute leur verdeur, sans tricher, sans jouer hypocritement avec ou sur les mots, par conformisme par convenance ou par pudibonderie »[3].
Dans « Fictions de l’érotisme : Les Cahiers de don Rigoberto de Mario Vargas Llosa », Khalil Ibrahim Oukhadda tente de circonscrire, non sans pédantisme, les jeux de miroirs et d’intertextualité comme stature esthétique de l’érotisme dans Les Cahiers de don Rigoberto, du péruvien Mario Vargas Llosa. Il prospecte de disséquer ces figures romanesques en tant que dimension érotique explicite ou suggérée dans Les Cahiers où il fait l’éloge de l’individualisme et l’apologie du plaisir solitaire. Le lauréat du prix Nobel de littérature 1990 ne cache pas son penchant libertin lorsqu’il affirme que « l’érotisme est inséparable de la civilisation ».
Anne-Laure Andevert, spécialiste et fervente lectrice de Julien Green, se penche sur quelques topos saillants, comme l’ennui, le désir et le fantasme de la dévoration, dans Le Mauvais Lieu. C’est ainsi qu’elle passe en revue d’abord les lieux où sont projetées les scènes sexuelles ; ensuite, elle appréhende les figures de l’ogre et de l’ogresse comme représentation du fantasme de la dévoration ; enfin, elle aborde le thème de l’inceste vécu dans l’exaltation de l’identité. Dans son article : « Ennui, désir et fantasme de dévoration dans Le Mauvais Lieu de Julien Green. », elle souligne, après avoir passé au crible ce récit, que les vocables « désir » et « faim », préférés par l’auteur car plus poétiques et plus concrets, sont investis d’une charge érotique intense. Sa méfiance envers les mots est telle que l’auteur craint leur inappropriation : « II arrive qu’en nommant les choses on les frappe en plein cœur d’un coup irrémédiable. C’est ce qui fait, par exemple, la pauvreté des romans pornographiques ; le contenu de ces livres se détruit lui-même. »[4]. Le registre de la dévoration qui est intrinsèquement lié au désir, évoque la violence, la cruauté et le mal.
Spécialiste de la littérature maghrébine d’expression française, Kesse Edmond N’Guette s’attarde sur l’analyse de la sexualité dans le premier roman de Katib Yassin Nedjma, publié en 1956. Dans son article : « Écrire l’interdit pour s’affirmer : Nedjma et la déconstruction du stéréotype social de la sexualité », il essaie de montrer comment chez cet auteur algérien, inspiré par le topo de l’amour fou et l’amour passion chez Breton avec Nadja et chez Louis Aragon dans Le fou d’Elsa, l’écriture témoigne dans son projet de la volonté de combattre au feu et à l’épée un ensemble de déterminismes sociaux. Pour lui, écrire sur la sexualité s’inscrit dans la subversion, car cela lui permet d’enfreindre l’autocensure et entre par effraction dans l’ordre du tabou. S’attaquer à des stéréotypes de sexe, c’est déconstruire des représentations rigides et sommaires de la femme-sexe sous l’influence du milieu social.
L’objet d’étude choisi par Umut Incesu, dans « Découvrir le corps et le désir féminin : la représentation du sérail dans Les Lettres persanes de Montesquieu » est l’analyse de l’image de la sensualité et de la volupté mises en évidence par le corps féminin. La représentation du sérail est justifiée par son omniprésence tout au long du livre jusqu’à la mort de Roxane. La fiction du sérail, qui commence et termine l’intrigue principale, tient une place importante dans l’œuvre. La fiction du sérail, comme le laisse suggérer Paul Hoffmann, a une fonction symbolique : « La fiction du sérail […] est une figure de la condition de la femme dans la société »[5]. Comment se priver de lire dans Les Lettres persanes un manifeste de la question du féminisme ? Dans la lettre qui clôt le roman de Montesquieu, Roxane, l’épouse préférée d’Usbek, avoue à son mari qu’elle le hait et le trompe. Son suicide imminent exprime sa haine et sa révolte : « Comment as-tu pensé que je fusse assez crédule, pour m’imaginer que je ne fusse dans le monde que pour adorer tes caprices? Que, pendant que tu te permets tout, tu eusses le droit d’affliger tous mes désirs ? Non : j’ai pu vivre dans la servitude; mais j’ai toujours été libre : j’ai réformé tes lois sur celles de la nature ; et mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance »[6].
Claudy Delné réfléchit, dans « Aux confins de l’écriture érotique et pornographique : entre réification du corps féminin et soubassement idéologique ou philosophique », sur la notion d’écriture érotique et pornographique, plus spécialement, sur un aspect auquel la mise en relation de ces deux termes invite, à savoir l’articulation de l’écriture entre le littéraire et le sexuel. L’auteur de : La révolution haïtienne dans l’imaginaire occidental : occultation, banalisation, trivialisation, invite le lecteur dans cet article à interroger l’érotisme et le pornographisme qui accentuent davantage la question de la sexualité tout en interrogeant l’écriture dans sa perspective littéraire. C’est peut-être là, dans cet entrelacs, que réside la spécificité d’une écriture de l’Éros, à savoir un espace perméable où l’on peut passer du littéraire au sexuel sans fin. Delné examine cette réification du corps de la femme qui est mue en dérive vers une vulgarité affligeante et un espace commercial[7], tout en questionnant les assises de la pensée et des doctrines en vogue. Reléguée à son immanence, la femme est spécifiée par sa « condition de femme-objet, être de chair et de beauté, interdite de penser sous peine de perdre son charme au regard des hommes »[8]. C’est cette corporalisation, perçue comme la forme ultime de sa propre déconsidération, qu’interroge cet article : en envisageant la femme comme objet, l’érotisme et le pornographisme ne l’ont-ils pas soumise à la réification ? Et la femme, à force d’être prise comme telle, ne s’est-elle pas accoutumée à se convertir au mode d’être des objets ? Le titre bien connu de l’essai de Claude Alzon La Femme potiche, la femme bonniche (1977), serait l’exemple le plus frappant de cette réification.
Dans son article : « La représentation littéraire et filmique de l’érotisme féminin dans L’Amant de lady Chatterley de D. H. Lawrence », Marine Deregnoncourt soulève la problématique de l’érotisme féminin et l’éveil des sens chez Lawrence, l’héroïne de The Second Lady Chatterley’s Lover de David Herbert Lawrence, écrit en 1927 et publié pour la première fois en 1972, et de son adaptation cinématographique réalisée par Pascale Ferran en 2006. Dans le roman comme dans le film, le récit est une glorification de l’amour charnel exalté par l’envoûtement de la campagne anglaise des Midlands. C’est aussi une esquisse des rapports hommes/femmes où sont portés aux nues la sexualité, le corps et le phallus que les femmes chérissent dans leur jouissance : « Je travaille toujours à la même chose : rendre la relation sexuelle authentique et précieuse au lieu de honteuse. Et c’est dans ce roman que je suis allé le plus loin. Pour moi, il est beau, tendre et frêle comme le moi dans sa nudité. »[9].
Jelena Antic, quant à elle, examine dans : « Les topos de l’éros dans les romans d’Anne Hébert : Aurélien, Clara, Mademoiselle et le Lieutenant anglais et Est-ce que je te dérange ? » la thématique de l’amour et du désir dans quelques romans d’Anne Hébert. Bien qu’elle y soit le plus souvent allusive, la sexualité dans ce corpus traduit les rôles sociaux attribués par l’idéologie dominante, conformément aux normes communément admises dans la société québécoise patriarcale. Les personnages hébertiens vivent avec déchirement leurs histoires d’amours contrariées et impossibles, leurs métamorphoses entaillées entre leur vouloir être libre généré par l’éros d’une part, et d’autre part leur devoir être, imposé par l’interdit patriarcal. La représentation des scènes sexuelles présente diverses prérogatives : elle est conçue comme, d’un côté, un enjeu à la fois d’oppression et d’émancipation, et, de l’autre côté, un indice de hiérarchisation des rôles et des pouvoirs entre les deux sexes.
« Nommer, c’est montrer et montrer, c’est changer »[10], écrit Jean-Paul Sartre. En choisissant la poétique de la sexualité, comme thématique à notre revue, nous souhaitons changer notre façon de nous voir, de revoir le(s) rapport(s) à notre corps, d’entrevoir le corps de l’Autre, c’est probablement ce à quoi aspire ce treizième numéro de Legs et littérature en mettant ainsi en avant le sexe et sa mise en texte.
Mourad Loudiyi, Ph.D
[1] Dictionnaire Felix Gaffiot. Colonne II Page 1435.
[2] Épicure, Maxime X, traduction de l’abbé Charles Batteux, 1758.
[3] N’ DA Pierre : « Le sexe romanesque comme moteur et enjeu de l’écriture postmoderne » in Le postmodernisme dans le roman africain. Formes, enjeux et perspectives, Adama COULIBALY, Philip Amangoua ATCHA, Roger TRO DEHO (dir.), Paris, L’Harmattan, 2011, pp. 67-82.
[4] Julien Green, Journal /, 4 avril 1933, IV, p. 235
[5] Paul Hoffman, «Un Montesquieu antiféministe», Travaux de linguistique et de littérature, Université de Strasbourg, vol. XVIII, n° 2, 1980, p. 139.
[6] Voir Montesquieu, Lettres persanes, Lettre 161.
[7] Marc-Alain Descamps a raison de tenir ces propos : « Le corps est un symbole dont use une société pour parler de ses fantasmes. […] Le corps que nous vivons n’est donc jamais pleinement nôtre. Nous sommes pénétrés par la société qui nous traverse de part en part, ce corps n’est pas mon corps, c’est une image sociale ». (L’invention du corps, Paris, PUF, 1989).
[8] Claudine Monteil, Simone de Beauvoir, modernité et engagement, Paris, L’Harmattan, 2009.
[9] Lettre de D.H. Lawrence à Nancy Pearn, le 12 avril 1927.
[10] Jean Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, 1948, p. 105.
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