Peut-on fabriquer un écrivain ?

En me posant cette question, j’ai naturellement pensé au roman de Daniel Pennac, La petite marchande de prose, troisième de sa série des mésaventures de Benjamin Malaussène. Bouc-émissaire parfait attaché à une maison d’édition, Malaussène s’est vu proposer la tâche de devenir du jour au lendemain, le fameux écrivain J.L.B, connu du pays tout entier comme le prophète du mouvement qu’il a lui-même baptisé Le réalisme libéral ou capitaliste, par opposition au réalisme socialiste. Benjamin Malaussène apprend donc l’art (difficile, dirait un académicien) de devenir écrivain. Cependant, il doit faire face à ses lecteurs, et pis encore, à des journalistes taquins. Mais il finira tout de même par laisser apparaître son imposture.

L’histoire de Malaussène n’est pas si loin de ce que l’on voit aujourd’hui en Haïti. Il suffit à un éditeur, couplé d’un opérateur culturel, seul délivreur de prix, de nous proposer tel ou tel autre écrivain comme le nouveau Victor Hugo de son temps. Ainsi, son manuscrit très médiocre est emballé dans un beau format, préfacé ou présenté par un autre écrivain, le plus souvent qui est passé lui aussi par-là, placé dans les vitrines d’un libraire connu et en dernier lieu récompensé par un prix littéraire, qui, comme a dit un jour un fin polémiste, n’a jamais récompensé un écrivain. Parfois on imprime des affiches partout, de telle sorte qu’en ouvrant sa fenêtre, l’écrivain est là et vous attend, en dentelle ou en habit de cocktail.

La fabrique d’un écrivain est une activité purement commerciale et cela doit le rester. Mais quand celui-ci devient une référence, le seul Victor Hugo ou Marguerite Duras en version tropicale, cela pose un sérieux problème, et l’on risque de tomber dans l’éloge de la banalité ou de l’imposture intellectuelle. Doit-on assister à la naissance des écrivains Made In Gallimard ou Made In Henri Deschamps, voire même Made In LEGS ÉDITION ? Non, et ceci –comme le dirait une journaliste culturelle– sans l’ombre d’un doute !

Wébert Charles