12 octobre 2012 – 12 octobre 2022: LEGS ÉDITION célèbre cette année ses dix ans, et je suis très fier de faire partie de cette équipe si dynamique, inflexible et sereine qui, malgré vents et marées, a toujours visé loin, très loin et a toujours voulu aller au-delà de l’horizon. Dans un pays miné par le désespoir, le mensonge, la violence d’État menée par ses gangs armés et où l’avenir est plus que jamais assombri, en voilà une institution qui, comme tant d’autres, menée par des jeunes éclairées et optimistes, a su faire la différence. Bravo à mes collègues et amis Wébert Charles et Mirline Pierre pour cette confiance partagée !
LEGS ÉDITION est une maison d’édition indépendante. Nous croyons en des valeurs liées à la (biblio)diversité linguistique, politique, culturelle, mais nous ne sommes pas pour autant une institution à caractère politique, ni sectaire encore moins rétrograde. Nous croyons en l’égalité et l’inclusivité, au respect et à l’ouverture à l’autre. Nous sommes contre les cloisonnements, d’où qu’ils viennent, et c’est ce qui fait que nous nous considérons comme une passerelle pour établir le dialogue avec l’autre, faire tomber les frontières et permettre la circulation des imaginaires. Nous sommes une institution privée de notoriété publique qui se veut d’être utile à la communauté haïtienne –et de façon plus large à la communauté francophone et toutes les autres. Notre politique est principalement axée sur le solidaire et non la recherche démesurée du profit ou du gain personnel au détriment de la collectivité.
12 octobre 2012 à aujourd’hui, cela fait 10 ans depuis que nous avons créé cette maison d’édition qui est, pour mes amis et moi, une vraie raison d’exister et vivre… Nous avons fait un bout de chemin, réalisé un peu de nos rêves et nous croyons dur comme fer que nous pouvons continuer à inventer des rêves et des raisons de vivre et célébrer le livre. J’admets que tenir une maison d’édition pendant toutes ces années dans un pays de crise et de mépris des choses de l’esprit est une vraie gageure. Mes collègues et moi ont probablement cru que nous pouvions faire bouger les lignes. Oui il faut le dire, c’est peut-être pas trop visible ce que nous avons essayé de faire, vu que c’est noyé par le nombre incalculable de choses qui occupent au jour le jour l’actualité dans notre pays. Nous allons continuer à travailler dans l’ombre, à l’abri du bruit et de la fureur, pour faire mieux et autrement.
En Haïti, on accorde malheureusement peu d’importance aux choses essentielles. Toujours est-il que c’est l’accessoire qui prédomine dans les discours, et même dans les grandes décisions qui doivent engager le pays, ce sont les détails qui ont le dessus. Les gens, des mieux placés au commun des mortels, passent leurs temps à ne parler que de futilités. À quoi devrait-on s’attendre si on n’investit que dans la banalité ? Il suffit de regarder ce qui fait la manchette de nos journaux, ce qui passe à télé, constitue le menu de nos émissions, qui a droit à la parole à la radio, la télévision, et même dans les grands et petits événements pour se convaincre du niveau de décrépitude de cette société. Nous vivons dans un pays où ce sont toujours les monstres qui ont pignon sur rue et sont présentés comme modèles de réussite à ceux qui grandissent au moment où chacun espère et rêve d’une nouvelle société où il fera bon de vivre et d’habiter. L’on pourra toujours continuer d’espérer car rêver est un acquis démocratique, tout comme on aime le dire chez nous pour le droit de s’exprimer.
LEGS est probablement un projet utopique, une chimère, diriez-vous, parce que dans un pays miné par l’obscurantisme et le désespoir, l’on ne saurait se permettre de rêver ou de créer de quoi espérer à partir du vide. C’est justement parce que nous croyons qu’il est possible de donner forme à nos propres illusions que nous avons choisi d’investir dans le territoire des mots. Pour ne pas nous laisser engloutir par l’amertume et le dégoût de la vie. Parce que nous savons que nous pouvons faire face à l’infortune et mettre des couleurs sur le gris des pavés.
Haïti est un pays certes où l’ingratitude et l’hypocrisie poussent comme des herbes folles. En dépit des déceptions que nous avons essuyées, nous sommes fiers de notre œuvre –aussi modeste soit-elle. Pas une seule fois, nous n’avons regretté d’avoir fait ce choix. Nous aurions certainement pu faire mieux s’il y avait des conditions… mais on ne demande pas à un peuple qui souffre et qui a faim d’apprécier une œuvre surréaliste. Même s’il rit, danse et chante, pour reprendre Jean Price-Mars, il n’a aucunement conscience qu’il court à sa perte.
Nous avons donc choisi d’assiéger le champ des imaginaires. Notre pari est de prouver, d’abord à nous-mêmes, ensuite aux autres, que nous pouvons inventer d’autres avenirs, créer d’autres avenues avec des mots enjoués qui savent faire naître l’espoir.
Nous avons osé l’impossible, nous avons pris tous des risques et nous continuerons à en prendre.
À tous nos ami.e.s, lecteur.rice.s, donateur.rice.s, bienfaiteur.rice.s, auteur.rice.s, correcteur.rices, réviseur.e.s, nos partenaires, les associations dont nous sommes membres et à tou.te.s nos volontaires, nous tenons à leur exprimer notre vive reconnaissance pour la confiance qu’il.elle.s ont placée en nous.
Nous sommes une passerelle. Nous sommes LEGS ÉDITION.
On n’a qu’une seule fois dix ans !
Dieulermesson Petit Frère
Directeur littéraire
Lire le texte dans le quotidien Le National
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