Faut-il tuer les critiques littéraires ?

À quoi sert la critique littéraire ?  C’est cette question que je me suis tout de suite posée quand deux collègues, écrivains de surcroit, m’ont, l’un après l’autre, lancé en plein visage la semaine dernière : « toi, on te cassera certainement la gueule ». Même réaction quand un slameur de la place m’a crié, en franchissant la porte d’entrée d’un bar : « tu ne mérites pas plus qu’une balle dans la tête ».

Voilà ce qui arrive à tous ceux et toutes celles qui, dans ce pays, se décident à se démarquer de cette petite communauté d’admiration mutuelle qu’est devenue, depuis un certain temps, la littérature haïtienne, où écrivains et critiques (de famille) se côtoient et s’envoient des fleurs. Comme si tous les livres produits ces dernières années seraient de petites pierres précieuses.

Nombreux sont les écrivailleurs qui pensent qu’après avoir publié un livre, quel qu’en soit les caractéristiques (bons ou mauvais), il reste et demeure leur propriété privée. Ils oublient ou ne savent pas qu’il existe une « sémiotique de la réception, l’intentio lectoris » (Eco). Que tout texte présente, généralement, deux modèles de lecteurs : le lecteur modèle naïf de qui se dégage une interprétation sémantique ou sémiosique et le lecteur modèle critique qui propose une interprétation sémiotique ou critique (Eco).

En effet, de tout temps, les critiques littéraires, « ces salauds littéraires, des créateurs corrompus à forme humaine et à cœur de démon » (Dickens), ont toujours eu la vie dure. N’est-ce pas Montesquieu qui, au 18ème siècle, disait considérer les critiques comme des « mauvais généraux d’armée qui, ne pouvant investir un pays, en corrompent les eaux » ? Mais  en quoi la critique tue-t-elle la littérature ? N’est-ce pas de son devoir de porter sur l’œuvre littéraire un discours susceptible de la commenter et de l’éclairer ? (Bergez) La littérature n’est-elle pas objet de discours ? Comme œuvre de création, elle (la littérature) a besoin d’exégètes [qui] nous transmettent sens et forme [car] « l’interprétation fait partie du texte » (Tadié).

Comme discours sur les œuvres littéraires, la critique littéraire peut bien énoncer des propositions de type « A est plus beau que B […], parce qu’elle entend évaluer, juger un texte (Compagnon). Certainement, il faut une certaine somme d’expériences de lecture ! On ne se lève pas un matin avec un trou dans le ventre, après avoir avalé quelques verres de clairin ou parce qu’on a une voix grave et qu’on ait lu Nietzsche ou Kundera, et on se fait passer pour tel. Les critiques de famille, on en a besoin certes, mon estime va plutôt à ceux qui ont usé le fond de leur culotte sur les bancs de l’école pour se meubler l’esprit ou qui ont pris le temps de lire le fond des choses, qui ne s’arrêtent pas à la partie de l’iceberg…

Cultivons l’esprit critique !

 

Dieulermesson Petit Frère

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