Pour parler de la maladresse de certains écrivains, des lecteurs ou même des critiques les appellent des « écrivants ». Ce qui, parfois, attise les débats littéraires. Toutefois, ce terme est souvent mal utilisé. Lyonel Trouillot, Dany Laferrière ou James Noël et Makenzy Orcel sont-ils des écrivants ou des écrivains ? Qu’en est-il de Rony Gilot ou de Georges Corvington ? Roland Barthes, en 1964 dans ses premiers Essais critiques, clarifie ces termes dans un article titré « Écrivains et écrivants ».
Roland Barthes, critique littéraire français du XXe siècle –on le sait sans doute – aime les contrastes, les antithèses, les mots en couple. Si pour certains créateurs ce procédé relève d’une démarche ludique, pour l’auteur de Le plaisir du texte, il s’agit d’une conception beaucoup plus sérieuse de la littérature. « Le couple écrivains/écrivants », comme l’appelle Claude Coste, revêt une importance capitale dans la compréhension de la conception de la littérature de Roland Barthes.
Un écrivain, pour Barthes, est quelqu’un qui est dans une démarche désintéressée. À contrario de la conception de l’écrivain de Jean-Paul Sartre, qui est un « parleur », un engagé. Pour Roland Barthes, «il est dérisoire de demander à un écrivain d’engager son œuvre ». « L’écrivain conçoit la littérature comme fin ». Écrire, poursuit-il, est un verbe intransitif, c’est-à-dire qu’il ne supporte pas de complément. L’écrivain écrit et ça suffit ! Et s’il faut parler d’engagement dans la littérature, ce serait un « engagement manqué ». L’écrivant, pour sa part, est quelqu’un qui agit sur le monde. Pour lui, l’écriture n’est qu’un moyen. Son message ne doit être interprété que d’une seule manière quand la parole de l’écrivain supporte une certaine ambiguïté, se rejette parfois en s’affirmant.
Selon cette conception, il ne suffit pas d’écrire pour devenir un écrivain. Et toute œuvre écrite ne fait pas partie nécessairement de la littérature. La littérature est un travail sur la langue. Ainsi, dans le sens strict du terme, un historien n’est pas un écrivain. Un philosophe non plus. Ce sont des écrivants. La même notion est valable pour quelqu’un qui écrit un livre de recettes de cuisine ou un livre de sociologie. Toutefois, il ne faut pas croire que les écrivants n’ont pas de style ni ne font appel à une certaine forme esthétique de la parole, mais ce n’est pas leur but premier. On est un écrivain ou un écrivant selon la forme et l’orientation de son œuvre ; selon qu’elle soit une fin ou un moyen.
Wébert Charles