L’auteur littéraire, est-il un imposteur ?

 Les lecteurs de Roland Barthes, en voyant ce titre, diront sans doute, pourquoi ne pas remplacer l’expression « auteur littéraire » par « écrivain », par opposition à « écrivant », puisque ce problème a déjà été résolu par Barthes dans ses Essais critiques en 1964. Il faut entendre ici par « auteur littéraire » non pas celui qui écrit l’œuvre, mais de préférence celui qui la revendique. C’est-à-dire, celui qui la signe.

La notion de l’auteur, nous dit Roland Barthes, est ambiguë. Par exemple, quand Jean-Claude Fignolé écrit dans son livre La dernière goutte d’homme « Une horloge égrène, à coups réguliers, la désespérance du temps », est-ce lui-même qui parle ou un personnage romanesque, au même titre que Roger et Yvan ? L’écriture, comme nous le dit Barthes, n’est-elle pas destruction de toute voix ? De quel droit, me fait-on (ou me fais-je) passer pour l’auteur d’une œuvre ?

Au Moyen Âge, les Gestes, ces textes anciens qui font l’éloge des prouesses des Chevaliers, n’étaient attribués à personne. Les jongleurs reprenaient les textes, les embellissaient selon les occasions. Le texte littéraire semblait appartenir non pas à un individu, mais à la littérature, au langage. Ce n’est qu’avec la Renaissance, qu’on (re)commence à accorder une place importante à l’auteur, sacralisé par les ténors de l’Histoire littéraire au 19e siècle, principalement Sainte-Beuve. Pour l’Histoire littéraire, il n’existe aucune compréhension possible de l’œuvre en dehors de son auteur.

Michel Foucault et Rolan Barthes, ont chacun, dès 1968 combattu cette sacralisation de l’auteur dans leurs textes respectifs « Qu’est qu’un auteur ? » et « La mort de l’auteur ». Pour Foucault, « L’auteur n’est exactement ni le propriétaire ni le responsable de ses textes ; il n’en est ni le producteur, ni l’inventaire ». Barthes va plus loin, citant Mallarmé : dans une œuvre, nous dit-il « c’est le langage qui parle, ce n’est pas l’auteur ; écrire, c’est, à travers une impersonnalité préalable –que l’on ne saurait à aucun moment confondre avec l’objectivité castratrice du romancier réaliste – atteindre ce point où seul le langage agit, performe et non moi ».

Au regard de cette conception de la littérature, toute posture d’auteur, n’est-elle pas imposture ? Barthes disait lui-même que toute publication (donc revendication d’une œuvre) est un acte d’imposture, l’œuvre étant infinie. La finir, la publier voire la revendiquer, c’est entrer dans un faux compromis avec le texte.

Wébert Charles